AVENUE 69, Le blog GAY BIS de philippe2belgique
Un «Priscilla folle du désert» version russe, pour faire évoluer les mentalités
Sorti mi-octobre en Russie, le film «Les Gais Lurons» raconte les aventures tragicomiques de cinq drag-queens à Moscou. Une étape importante de la visibilité LGBT, saluée par la presse et les gays russes, dans un pays encore largement homophobe.
Resplendissante en satin rose et boa à plumes, une drag-queen déambule dans un village russe décrépit interprétant le mythique «I Will Survive» en imitant Gloria Gaynor. C'est l'un des passages haut en couleur de Gais Lurons (Veseltchaki), premier film grand public à traiter de la question gay en Russie, où l'homophobie reste très vivace. Le film, sorti à la mi-octobre, raconte l'histoire de cinq drag-queens qui se produisent dans une boîte de nuit gay de Moscou. Elles partagent sans compter bonne humeur, maquillage et vodka, oubliant les coups et les critiques qui pleuvent dans la journée.
Paradoxe moscovite
Mais pas de happy end. La conclusion du film est beaucoup plus sombre: après les éclats de rire, un lourd silence s'installe à la fin du film lorsque les cinq héros tombent sur de jeunes homophobes et décident de foncer sur eux, dans un ultime acte de bravoure à l'issue prévisible.
Cette tragicomédie reflète le paradoxe vécu par les homosexuels moscovites, qui disposent d'une scène nocturne développée et décomplexée, alors que dans la rue et jusque dans les sphères du pouvoir, ils doivent encaisser les brimades.
72 salles
«J'ai vraiment aimé ce film ! Ca me rend heureux de voir que, pour la première fois, un film s'attaque à ce sujet», réagit à la sortie de la projection un des spectateurs, Vladimir Frolov, à Moscou. Le film est projeté dans 12 villes et 72 salles, une diffusion non négligeable en Russie. Il doit être projeté également au Kazakhstan, en Ukraine et dans les Pays baltes.
Victoire supplémentaire, des multiplexes et pas seulement des petites salles anonymes diffusent Gais Lurons à Moscou, alors même que la maire de la capitale, Iouri Loujkov, considère l'homosexualité comme «l'œuvre de Satan». Dans ce contexte, la presse libérale russe s'est félicitée qu'un tel film ait enfin vu le jour en Russie, où, malgré de multiples tentatives, les parades gays sont systématiquement interdites par les autorités.
Le réalisateur, Félix Mikhaïlov, «a réalisé le premier film articulé qui soutienne les homosexuels», note le quotidien Vremia Novosteï, dans une critique intitulée «Douloureusement nécessaire». «On tombe tellement amoureux de (l'acteur finlandais) Ville Haapasalo dans sa robe en lurex que la fin tragique de son personnage est ressentie (par le spectateur) comme un deuil personnel», relève le magazine culturel Time Out dans son édition russe.
«Cela change les gens, même un tout petit peu»
Le réalisateur, qui n'est pas lui-même homosexuel, raconte avoir eu l'idée du film il y a dix ans en travaillant avec une troupe de drag-queens et dément
avoir voulu mettre en scène un plaidoyer pour les droits des homosexuels en Russie. «S'ils le voient comme ça tant mieux (...) mais on a voulu éviter toute idéologie», explique Félix Mikhaïlov,
qui se dit d'ailleurs opposé à l'organisation d'une parade gay en Russie. «Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Pas parce que c'est quelque chose de bon ou de mauvais, mais parce que dans
notre pays nous n'avons pas la culture des festivals de masse», juge-t-il, estimant qu'une telle manifestation en Russie aurait des allures «pathétiques et bon marché».
Si ces déclarations du réalisateur paraissent tout sauf militantes, voire contradictoires avec le message de visibilité mis en avant par son long-métrage, il n'en reste pas moins que la communauté gay accueille ce film comme une bouffée d'air frais. La société russe considère encore largement cette question comme un tabou, malgré la chute de l'URSS et la décriminalisation des rapports homosexuels qui a suivi. «Lorsqu'un bon film sort, lorsque c'est fait avec humour –et ce film appartient à cette catégorie– cela change les gens, même si ce n'est qu'un tout petit peu», se réjouit Ed Michine, qui publie le principal magazine gay de Russie, Kvir (Queer).
En bonus, la bande-annonce (en VO):